Le SARS-CoV-2, sorti d’un laboratoire ?

8/11/2020
Image:Le SARS-CoV-2, sorti d'un laboratoire ?

Covid-19, un virus synthétique ?
L’hypothèse de l’échappement accidentel d’un laboratoire

Les chercheurs n’ont toujours pas déterminé comment le coronavirus SARS-CoV-2 a pu se transmettre à l’espèce humaine. Interrogé par Yaroslav Pigenet, le virologue Étienne Decroly fait le point sur les différentes hypothèses étudiées, dont celle de l’échappement accidentel d’un laboratoire P4*.

On retiendra de cette interview :

• le premier SARS-CoV (qui a émergé en 2003) est sorti au moins quatre fois de laboratoires lors d’expérimentations ;
• les coronavirus étaient largement étudiés dans les laboratoires proches de la zone d’émergence du SARS-CoV-2, dont ceux de l’Institut de virologie de Wuhan, qui étudiaient, entre autres, les mécanismes de franchissement de la barrière d’espèce ;
• les analyses fondées sur la phylogénie de génomes complets du virus ne permettent pas de conclure définitivement quant à l’origine évolutive - naturelle ou synthétique - du SARS-CoV-2.

Le docteur Étienne Decroly alerte enfin sur les expériences de « gain de fonction » ou de « gain d’infectuosité » de souches virales qui sont menées aujourd’hui dans les laboratoires P4, alors que des accidents se sont donc déjà plusieurs fois produits.

Interrogé par Yaroslav Pigenet (Le Journal du CNRS) sur la possible sortie du virus SARS-Cov-2 d’un laboratoire [1], Étienne Decroly [2] rappelle qu’on ne peut éliminer cette hypothèse :

« On ne peut éliminer cette hypothèse, dans la mesure où le SARS-CoV qui a émergé en 2003 est sorti au moins quatre fois de laboratoires lors d’expérimentations.

Par ailleurs, il faut savoir que les coronavirus étaient largement étudiés dans les laboratoires proches de la zone d’émergence du SARS-CoV-2 qui désiraient entre autres comprendre les mécanismes de franchissement de la barrière d’espèce.

Toutefois, pour l’instant, les analyses fondées sur la phylogénie des génomes complets de virus ne permettent pas de conclure définitivement quant à l’origine évolutive du SARS-CoV-2. »

Étienne Decroly ajoute qu’« on dispose de trois grands types de scénarii pour expliquer comment SARS-CoV-2 a acquis son potentiel épidémique » :

« Premièrement, il s’agit d’une zoonose. La Covid-19 est due au franchissement récent de la barrière d’espèce par le coronavirus. Dans ce cas, on doit retrouver un virus plus proche que RaTG13 dans une espèce domestique ou d’élevage. Pour rappel, ce n’est toujours pas le cas.

Deuxième scénario, il pourrait également s’agir d’un coronavirus différent de SARS-CoV ou de MERS-CoV, qui se serait adapté à l’homme il y a déjà plusieurs années, qui aurait circulé jusqu’ici à bas bruit, et qu’une mutation récente aurait rendu plus transmissible d’homme à homme. Pour étayer ce cas de figure, il faudrait pouvoir analyser les échantillons viraux de personnes décédées de pneumonies atypiques dans la zone d’émergence avant le début de la pandémie.

Enfin, il reste la possibilité que Sars-CoV-2 descende d’un virus de chauves-souris isolé par les scientifiques lors des collectes de virus et qui se serait adapté à d’autres espèces au cours d’études sur des modèles animaux en laboratoire ; laboratoire dont il se serait ensuite échappé accidentellement. »

Plusieurs sorties accidentelles de virus depuis des laboratoires

Étienne Decroly ajoute que quel que soit l’origine évolutive duSARS-Cov-2 et même s’il s’avère que la pandémie de Covid-19 est finalement le résultat d’une zoonose « classique », « plusieurs incidents ayant conduit à des sorties accidentelles de virus depuis des laboratoires ont été documentés ces dernières années », malgré les normes internationales qui imposent que « la recherche, l’isolement et la culture de virus à potentiel pandémique » soient réalisés dans des conditions expérimentales hautement sécurisées :

« Un des cas les plus connus concerne le virus Marburg, issu d’une contamination par des singes sauvages.

La pandémie grippale de 1977 en est un autre exemple. Des études génétiques récentes suggèrent qu’elle aurait résulté de la sortie de laboratoire d’une souche virale collectée dans les années 1950.

Et plus récemment, plusieurs sorties accidentelles de SARS-CoV étudiés dans des laboratoires ont été rapportées dans la littérature, même si elles n’ont heureusement donné lieu à aucune épidémie importante. »

Expériences de gain de fonction ou d’infectuosité de souches virales

Il rappelle enfin qu’il « est important de se questionner sur la dangerosité potentielle des expérimentations notamment quand elles visent un gain de fonction ou d’infectiosité ».

« La société civile et la communauté scientifique doivent au plus vite s’interroger sur la pratique d’expériences de gain de fonction et d’adaptation artificielle de souches virales dans des hôtes animaux intermédiaires.

En 2015, conscientes de ce problème, les agences fédérales américaines avaient gelé le financement de toute nouvelle étude impliquant ce type d’expériences.

Ce moratoire a pris fin en 2017.

Ces pratiques à haut risque devraient, à mon sens, être repensées et encadrées au niveau international par des comités d’éthiques. »

Des « pratiques » effectivement « à haut risque » ...

* Un laboratpoire « P4 »

La classification P4 d’un laboratoire signifie « pathogène de classe 4 » et le rend susceptible d’abriter des micro-organismes très pathogènes. Dans le monde, les laboratoires de ce type sont également nommés « BSL 4 », de l’anglais : biosafety level 4.

Wikipedia rappelle que « ces agents de classe 4 sont caractérisés par leur haute dangerosité (taux de mortalité très élevé en cas d’infection), l’absence de vaccin protecteur, l’absence de traitement médical efficace, et la transmission possible par aérosols. La protection maximale exigée pour manipuler ces germes est désignée par le sigle NSB4 (niveau de sécurité biologique 4) ».

EN SAVOIR PLUS

Yaroslav Pigenet, « La question de l’origine du SARS-CoV-2 se pose sérieusement », Le Journal du CNRS, 27 octobre 2020

ALLER PLUS LOIN

Erwan Sallard, José Halloy, Didier Casane, Jacques van Helden et Étienne Decroly, Retrouver les origines du SARS-CoV-2 dans les phylogénies de coronavirus, Med Sci (Paris), Volume 36, Numéro 8-9, Août–Septembre 2020, pages 783-796. https://doi.org/10.1051/medsci/2020123

Le SARS-CoV-2 est un nouveau coronavirus (CoV) humain. Il a émergé en Chine fin 2019 et est responsable de la pandémie mondiale de Covid-19 qui a causé plus de 540 000 décès en six mois. La compréhension de l’origine de ce virus est une question importante et il est nécessaire de déterminer les mécanismes de sa dissémination afin de pouvoir se prémunir de nouvelles épidémies. En nous fondant sur des inférences phylogénétiques, l’analyse des séquences et les relations structure-fonction des protéines de coronavirus, éclairées par les connaissances actuellement disponibles, nous discutons les différents scénarios évoqués pour rendre compte de l’origine - naturelle ou synthétique - du virus.
— Lire l’article surt le site de Medecine Sciences

[1comme le laboratoire P4 de Wuhan

[2Directeur de recherche au CNRS au laboratoire Architecture et fonctions des macromolécules biologiques (CNRS/Aix-Marseille Université), membre de la Société française de virologie.

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