La rébellion colombienne

30/05/2021
Image:La rébellion colombienne

“Resistancia ! Resistancia !”
Nous voulons un réel changement !

Entamé le 28 avril, le mouvement de protestation colombien est dans sa quatrième semaine. Le mot d’ordre est “résistance” face aux violences policières, à la répression et aux disparitions. La communauté internationale appelle au calme, même le Pape en fait la demande.

Mais la grogne est trop forte et le gouvernement trop ferme. Un dialogue de sourd s’est installé sous les bruits des bombes lacrymogènes, des cocktails Molotov et des fusillades. Plus la protestation se prolonge et plus la confusion s’installe en accentuant le sentiment d’exaspération et de colère.

Deux nouvelles journées de mobilisation nationale sont prévues le 26 et 28 mai.

“Resistancia ! Resistancia !” (Résistance)

Sans relâche, étudiants, professeurs, fonctionnaires, infirmiers, parents répètent ce slogan crié avec un mégaphone par les syndicalistes installés sur le camion qui ouvre la marche. Depuis le 28 avril, tous les jours, des rassemblements et défilés ont lieu dans les plus grandes villes du pays : Bogota, Medellin, Cali, Barranquilla, Carthagène des Indes… Même les petites municipalités suivent le mouvement. C’est un élan sans précédent. Si le 21 novembre 2019 avait dépassé le record historique en termes de chiffres- plus d’un million de manifestants avaient défilé pour protester contre le gouvernement du président Ivan Duque — aujourd’hui, c’est la longévité du mouvement et le nombre de victimes qui font la différence : 26 jours et plus de 50 morts.

La grogne est si forte qu’elle en défie la pandémie de Covid 19 et la troisième vague qu’affronte le pays. Le premier rassemblement a été déclenché par l’annonce de la réforme fiscale. Le projet de loi prévoyait que les personnes qui gagnaient plus de 550 euros par mois devait payer des impôts. La TVA de plusieurs biens et services devaient augmenter de 5 ou 19 %. Les prix du gaz, du service internet et des ordinateurs faisaient partie de la liste.

“Nous voulons un réel changement”

“J’ai fait toutes les marches. Je suis là ! Ferme !” Vélo à la main et casquette vissée sur la tête, Estiven Mejia Navas, un étudiant de 27 ans, défile, à Medellin, depuis le petit matin pour arriver au parc de los Deseos rebaptisé “le parc de la résistance” par les manifestants. Un graffiti géant sur le sol l’immortalise.

“Nous sommes fatigués de la situation du pays. Nous voulons du changement, un réel changement. On occupera les rues jusqu’à ce que ce changement devienne réalité. Á bas les oppresseurs ! Á bas ceux qui veulent nous voler ! Á bas les gens qui abusent du peuple ! Nous sommes ici debout, prêt à lutter, prêt à résister !”

La mobilisation a déjà obtenu le retrait de la réforme fiscale et de la réforme de santé. Deux ministres ont été également démis de leurs fonctions et l’organisation de la Coupe d’Amérique a été annulée. Mais, d’après les manifestants le malaise est plus profond.

“Il y a trop d’inégalités”

Sur la route qui longe l’université d’Antioquia dans le nord de Medellin, un cortège de motos et de voitures défilent en klaxonnant. Les manifestants qui leurs font une haie d’honneur scandent :

“A parar para avancar ! Viva el paro nacional !”
— Une grève pour avancer (pour faire avancer les choses N.D.L.R.) ! Vive la grève nationale !

Ana Maria Garcia, 44 ans, reprend le slogan en choeur avec sa famille et ses amis venus en nombre. Elle brandit une pancarte défendant une meilleure éducation.

“Il y a trop d’inégalités. On demande aux professeurs de faire des classes en alternant classes virtuelles et classes réelles, alors que les collèges n’ont aucun moyen. La plupart des enfants n‘ont pas accès à internet, ni même un ordinateur ou un téléphone pour suivre les cours. J’ai 40 élèves et 26 ne peuvent pas se connecter. Des enfants vont à l’école sans manger. Le gouvernement vit dans une bulle. Il ne voit pas la souffrance du peuple !”

D’après le DANE, l’Institut national des statistiques colombien plus de 21 millions de Colombiens sont en situation de pauvreté financière soit plus plus 42% de la population (dont 15% en extrême pauvreté). Cela veut dire que ces Colombiens vivent avec environ 90 dollars par mois.

Durant la troisième semaine de protestation, les peuples indigènes (via la délégation dite Minga) se sont joint aux marches. Les défilés ne désemplissent pas et de nouvelles formes d’expression artistiques se multiplient. Nombreuses sont celles qui font référence aux victimes durant les manifestations comme celle où des étudiants marchent recouverts d’argile et de marques rouges pour symboliser les coups. Sur le sol, on voit aussi des silhouettes de cadavres dessinées avec de la terre.

Najet Benrabaa, Guerre Moderne

Illustration :
Bogota – Colombie mai 2021.
Photo : Andres Cardona ©

 30/05/2021

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