Note de lecture : "Coloniser Exterminer : Sur la guerre et l’État colonial"

Ad Nauseam - 16/11/2010
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La colonisation française en Algérie
Philippe Coutant

Note de lecture sur le livre "Coloniser Exterminer : Sur la guerre et l’État colonial" d’Olivier Le Cour Grandmaison (Fayard, Janvier 2005, 365 pages).

Ce livre nous parle de la colonisation française en Algérie. J’ai eu du mal à le lire. Ce n’était pas les concepts qui étaient compliqués ou les raisonnements difficiles à suivre, mais le sujet même : il était souvent question de massacres et des méthodes guerrières employées. Les horreurs décrites m’ont révolté et mis très mal à l’aise.

Olivier Le Cour Grand Maison commence par expliquer les discours employés à l’époque pour justifier la colonisation de l’Algérie. La question de la lutte avec l’Angleterre, qui était en train de constituer son empire, était un des premiers arguments. C’était un argument externe. Il s’agissait de la grandeur de la France et de sa place dans le monde. D’autre part, c’était un moyen de trouver de nouvelles ressources face à la décadence. C’était donc aussi un argument interne. Pour le pays en jeu, l’Algérie, il s’agissait de justifier la colonisation par la nature des Arabes. Illes sont défini/es comme une race inférieure. Le premier élément évoqué est celui de la paresse. Illes ne savent pas développer leur pays. Ensuite, il est question de leur sexualité, de polygamie, d’homosexualité masculine et féminine. Toutes choses considérées comme des mœurs hors norme. Il s’agit d’un processus de bestialisation. L’Arabe est une bête féroce, un être inférieur aux mœurs arriérées.

La colonisation est une biopolitique qui gère les populations, soit on réussit à les faire travailler comme dans l’exemple des noirs réduits en esclavage, soit on les extermine comme les indiens. La notion de progrès, le développement de la science et des sciences humaines permet de classer les groupes humains en supérieurs et en inférieurs selon leur degré de développement. Il y a des couples conceptuels qui fonctionne toujours en faveur des dominants : Lumières / obscurantisme, tempérance / violence, élévation / dégradation, noble / méprisable, progrès / stagnation. Dès cette époque, le début du XX° siècle, il y a un une sorte de choc des civilisations. Bien sur, l’Europe est supérieure et les peuples moins développés sont inférieurs. La conséquence de ces argumentations est de dire que tout est permis contre ceux qui menacent notre civilisation et nos projets de développement qui sont des projets de conquête, puisque les limites de l’Europe sont atteintes.

La colonisation est une guerre de race, un combat entre une race supérieure et une race inférieure. Il est admis et théorisé que cette guerre a des nécessités propres, ses moyens se situent hors du champ de la guerre conventionnelle pratiquée dans notre continent. Un droit de la guerre s’était constitué au fil du temps en Europe. La notion de champ de bataille concerne en Algérie tout le territoire. Il n’y a plus de différence à faire entre les soldats et les civiles/es. Les biens, les habitations ne bénéficient d’aucune protection. Il n’y a pas de prisonniers, dont il faut prendre soin. Les nécessités de la guerre de conquête font que ses méthodes sont hors du droit de la guerre. Il faut anéantir les Arabes, détruire l’économie qui soutient les combattants. La militarisation de la région est une évidence. Il faut faire mourir, exterminer, donc pratiquer un ethnocide, qui sera nommé plus tard génocide. La notion d’espace vital met deux peuples en concurrence, mais les français disposent d’une force armée nettement supérieure, d’une capacité de gérer les populations que n’ont pas les Arabes. C’est une biopolitique qui veut “ faire vivre ” une population : Les colons français, et “ faire mourir ” les Arabes. Ces êtres inférieurs ont une “ vie sans valeur ”.

La guerre coloniale est une guerre d’extermination. Quand un village est attaqué et que la population se réfugie dans des grottes, alors il est courant que les militaires fassent une enfumade. Ceci consiste à bloquer les issues des grottes et d’allumer des feux, qui produisent beaucoup de fumée à une ou des entrées des ces grottes. Des milliers d’algériens et algériennes ont péri de cette manière. Ces enfumades ne sont pas des actions isolées et faisant suite à une initiative spontanée, au contraire elles sont planifiées et organisées.

Les razzias sont des expéditions organisées en vue de détruire l’économie vitale. Voler le grain et saccager les silos est un objectif assumé ouvertement. Incendier les maisons et les étables est une pratique banale. Le but est ouvertement de ruiner, de chasser les habitants/es, de terroriser en s’attaquant aux ressources de la population arabe ou kabyle. Les expulsions de masse suivent ces razzias. Ensuite, les militaires français utilisent la famine. Ces méthodes seront reprises dans les années 1950, 1960.

Les tortures sont systématiques. Elles concernent aussi bien les personnes combattantes que les autres. Il n’est pas besoin d’avoir fait quoi que ce soit, l’Arabe est suspect à priori. Les mutilations sont conçues comme des instruments de terreur pour bien montrer la force et la brutalité à la population. Les profanations sont pratiquées pour montrer que, morts ou vivants, rien n’échappe à la domination française. Ces exactions favorisent le départ de populations, ce qui libère des terres pour les colons. C’est suite à un scandale dans des journaux que la vente des restes humains (les os) est connue, elle ne s’arrête pas pour autant.

La violence coloniale est permanente, les militaires qui mettent en œuvre ces horreurs ne sont pas inquiétés, au contraire tout ceci est justifié comme faisant partie des “ cruelles nécessités de la guerre ”. Les déplacements de populations font mourir des milliers de personnes. Les viols sont massifs, c’est ouvertement connu et toléré, de très nombreuses femmes sont faites prisonnières et ensuite vendues. C’est une guerre totale hors de la guerre conventionnelle. Ceci ne se passe pas dans les Balkans avec l’armée et les miliciens serbes ou croates, mais dans une colonie française avec une armée républicaine issue de la révolution de 1789. C’est bien une guerre contre les civil/es. Il faut exterminer l’ennemi insaisissable, réduire le nombre d’habitants/tes. Pour contrôler la population, les autorités instituent un livret de voyage, qui ressemble au livret ouvrier, ou au livret des Tziganes. Si bien que les arabes et kabyles ne bénéficient pas d’une liberté fondamentale : celle de se déplacer librement.

L’État colonial est un état d’exception permanent. Il obéit au “ pouvoir du sabre ”. L’internement administratif sans jugement est la mise en œuvre de l’arbitraire. Quand on est arrêté, on ne sait pas pourquoi, on ne peut pas se défendre, on ne sait pas quand on sortira, et souvent on les proches ne savent pas où on est détenu. Des milliers de personnes sont concernées. La répression permanente s’exerce souvent à partir de ce qu’on est, pas à partir de ce qu’on a fait, on est arabe ou Kabyle, cela suffit à être présumé/e coupable.

Une autre méthode employée lors de la colonisation est la responsabilité collective. Les punitions collectives, les prises d’otages permettent de punir tout un groupe réputé dangereux a priori. Ce moyen est soit une punition, soit une réparation. C’est une culpabilité sans faute ni responsabilité. Ce dispositif a été utilisé lors de la colonisation de l’Algérie, puis pendant ce que l’histoire officielle française appelle la guerre d’Algérie. C’est une pratique ensuite utilisée par les nazis contre les juifs, elle a permis à Pinochet de réprimer le peuple chilien, c’est encore valable par Israël contre les Palestiniens : destructions des maisons, ou des champs d’olivier, encerclement, bouclage, mur de la honte et checks point, etc.

Le séquestre est une spoliation légale. Elle permet de s’approprier les terres facilement. Le séquestre n’est pas réalisé suite à une mesure de justice. Il peut aller jusqu’à la confiscation. Ce moyen sera utilisé ultérieurement contre les Juifs.

L’internement administratif, le séquestre, les punitions collectives sont incompatibles avec les principes de 1789. La puissance coloniale est une puissance qui n’est limitée et contrôle par rien, elles est hors du droit démocratique.

La régime politique de la colonisation est dominé par les militaires, c’est une dictature d’un type particulier. Il n’y a pas de tyran, mais une hiérarchie militaire installée par une république. Il n’existe pas de démocratie pour les Arabes, les arrestations sans mandat judiciaire, les détention sans recours, la censure des journaux montrent que nous sommes ici dans un état de guerre permanent qui fonctionne hors du droit pénal et civil de la métropole. Les pouvoirs exorbitants de l’administration coloniale est justifiée par l’urgence. Les habitants du pays ont un statut juridique inférieur qui n’est fondé sur rien. Pour contrôler et administrer la population locale des bureaux arabes sont mis en place sur tout le territoire. Il existe des droits pour les colons et la force brutale contre les Arabes, la race vaincue.

Pour donner une assise légale au colonialisme, les autorités française ont créé le code de l’indigénat. C’est un texte qui rassemble tous les règlements et mesures concernant les indigènes vivant en Algérie. C’est un objet juridique monstrueuxdisent les juristes. Il est le petit frère du Code Noir (dont ne parle pas Olivier Le Cour Grandmaison), qui régentait la vie des esclaves noirs dans les possessions française.

La colonisation française en Algérie produit l’assujettissement des Arabes et des Kabyles. Sur le plan juridique, ce sont des textes qui légalisent la ségrégation, les discriminations. C’est un séparatisme contre l’universel, dont sont si fier les français/ses. De fait, il produit une situation identique aux méthodes anglaises, qui elles assument ouvertement le séparatisme.

Olivier Le Cour Grand Maison cite Conrad qui décrit la réalité coloniale dans sa nouvelle “ Au cœur des ténèbres ”. Cet ouvrage relate les méthodes coloniales et détruit les grands mythes employés pour justifier l’expansion coloniale. Il montre l’appétit de richesses et de pouvoir des occidentaux. Pour lui, c’est une littérature du désenchantement radicale et brutal. Il conseille à tout le monde de le lire.

Olivier Le Cour Grand Maison revient sur les mesures anti-juives mises en œuvre par le régime de Pétain. Les juifs traités comme des colonisés, des indigènes sous Vichy avec des mesures conçues et appliquées, entre autres, par des colonialistes racistes.

Son dernier chapitre porte sur les rapports entre ce qu’il nomme “ la coloniale ” qui s’oppose à “ la sociale ”. Ce dernier terme concerne les barbares qui vivent en France, c’est à dire les pauvres, qui, de plus en plus souvent, se révoltent. Pour les partisans de la gestion du système, il vaut mieux avoir des colons plutôt que des émeutes. Les autorités cherchent à envoyer la “ sociale ” au Sud. Par contre, si cela est nécessaire les méthodes coloniales sont importées au Nord pour réprimer la “ sociale ” lorsqu’elle se révolte.

Que nous reste-t-il de l’histoire contenue dans ce livre ?

* Un racisme d’État pensé et mis en œuvre par la patrie des droits de l’homme.

* Des méthodes qui seront employées lors de la “ guerre d’Algérie ” (1950 –1962, entre autre par Mitterrand).

* Des procédés testés en Algérie et exportés pour la colonisation en Indochine, en Kanaky, en Afrique noire.

* Les camps qui resteront familiers aux autorités françaises : pour enfermer les républicains/aines espagnol/es, les tziganes, puis les communistes, les juifs et maintenant les étrangers/ères en situation irrégulière.

* Des dispositifs utilisées plus tard par les nazis, qui y ajouteront la mort industrielle.

* Partout où sévit le colonialisme, on trouve les mêmes façons de faire : aux Usa contre les Indiens, au Chili avec Pinochet, en Indonésie au Timor, en Israël contre les Palestiniens, etc.

* Le traitement séparés des étrangers/ères, l’internement administratif sans jugement nommé aujourd’hui “ rétention ”, est une procédure héritée du colonialisme.

* Un droit à part pour les immigrés/es : pas de droit de vote, ce ne sont pas des citoyens ! Souvenons-nous que les parents de Zidane n’ont pas le droit de vote. La nationalité sous condition pour les jeunes étrangers/ères né/es en France.

* Les représentations encore à l’œuvre : “ la guerre d’Algérie n’est pas finie, ” les “ jeunes ” des cités seraient des barbares à traiter comme tel. Les dispositifs et les idées des forces de police sont racistes et brutales. Ces pratiques sont dénoncées par plusieurs rapports récents : Amnesty International, le Mrap, le Comité de Déontologie de la police. Les policiers opèrent comme face à une race inférieure, ils n’ont pas à justifier ce comportement, la hiérarchie et la justice les couvrent. La peine de mort existe de fait. D’ailleurs, les termes employés le confirme : sauvageons, bandes barbares, racailles, “ nettoyer au karcher ”, etc.

* On retrouve à nouveau Papon en 1961 à Paris, où il est maître d’œuvre de la répression contre les Algériens avec des ordres coloniaux “ pas de prisonniers ! ”, la torture systématique, les arrestations arbitraires, l’internement sans jugement, etc. L’opacité face aux contrôles démocratiques.

* Monsieur de Tocqueville apparaît ici sous un jour peu glorieux. Le défenseur de la démocratie, si souvent cité comme une grande figure morale, se révèle ici un fervent colonialiste, qui approuve les méthodes de l’armée et qui veut réformer ce qui concerne les colons seulement.

* Une image de la France, pays des droits de l’homme, totalement déconfite. L’écart entre les mots et les actes ne peut pas être plus large. Avec ce livre le colonialisme français et son cortège d’horreurs ne plus être occulté.

* Une mise en garde contre la notion “ d’urgence ” employée pour justifier des mesures d’exception.

Philippe Coutant, CNT Interco 44, le 18 Août 2005

Philippe Coutant édite un site consacré à l’idée libertaire, à visiter : http://1libertaire.free.fr .

A lire également :

Une présentation du dernier ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison (LDH Toulon)

 16/11/2010

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