Qui sont les anarchistes ?

Ad Nauseam - 10/12/2010
Image:Qui sont les anarchistes ?

Noir, rouge et vert
Mimmo Pucciarelli (Mondialisme.org)

Les liber­tai­res ne vivent pas non plus sur une autre planète, dans un autre monde. Ils font des enfants et tra­vaillent comme tout le monde ou pres­que. Néanmoins, au tra­vers de leurs rép­onses, on peut remar­quer que divers milieux se croi­sent.

Cela va de l’artiste qui tra­vaille pen­dant de lon­gues journées dans son ate­lier loin de tous, au paysan qui vit dans un ter­roir semi-dés­er­tique de la cam­pa­gne franç­aise ; de ces révoltés urbains vivant en com­mu­nauté, à ces étudiants qui, dans les uni­ver­sités, trou­vent à la fois le savoir ins­ti­tu­tion­nel mais aussi des copains leur fai­sant connaître des auteurs qui ne sont tou­jours pas ins­crits au pro­gramme sco­laire.

Et pour­tant, cer­tai­nes rép­onses nous infor­ment qu’on peut connaître les idées liber­tai­res par­fois au collège (pen­dant le cours d’ins­truc­tion civi­que en cin­quième, comme a rép­ondu un jeune employé de 26 ans), ou au lycée (par mes pro­fes­seurs d’his­toire, ainsi que l’a indi­qué ce fonc­tion­naire des PTT de 39 ans) ou enfin à l’uni­ver­sité, où il y a par­fois un prof de philo ou de socio­lo­gie qui fait connaître les idées et les auteurs anar­chis­tes, aux élèves.

La lec­ture de ces rép­onses nous permet en fait de res­ti­tuer une image qui, à défaut d’être exhaus­tive, est quand même proche, me semble-t-il, de ce qui est en réalité la pra­ti­que et la vie quo­ti­dienne des liber­tai­res aujourd’hui : un ensem­ble, bouillon­nant, hétérogène, bavard, sen­si­ble, excen­tri­que, mili­tant, curieux, res­pon­sa­ble, autre­ment dit un être humain sen­si­ble et réfléchi, selon les termes uti­lisés par un jeune cui­si­nier de 27 ans pour résumer ce qu’est selon lui un anar­chiste.

Cette diver­sité s’exprime non seu­le­ment dans les lec­tu­res indi­quées plus haut, mais aussi par leurs sen­si­bi­lités poli­ti­ques.

En effet, la liste des grou­pes poli­ti­ques, des mou­ve­ments sociaux non liber­tai­res dont ils se sen­tent pro­ches est très longue. D’Amnesty International à La Libre Pensée. D’Act-up ! au CIRC (mou­ve­ment pour la léga­li­sation du can­na­bis). Des squats à la Ligue des droits de l’homme. Des éco­log­istes mais pas la ten­dance Waechter, plutôt les verts quand ils sont d’extrême gauche, aux situa­tion­nis­tes. De l’extrême gauche marxiste révo­luti­onn­aire aux mou­ve­ments de libé­ration sexuelle. En effet, il semble qu’il y ait là une partie de ce peuple d’une gauche liber­taire, éco­log­iste et « révo­luti­onn­aire » (1). Même s’ils sont nom­breux à n’adhérer à aucune orga­ni­sa­tion liber­taire, mais aussi à aucune autre orga­ni­sa­tion ou asso­cia­tion non liber­taire (34 rép­onses sur 140, ce qui est en effet un nombre impor­tant). Ces der­niers sont-ils pour autant des indi­vi­dua­lis­tes dans le sens tra­di­tion­nel du terme ? Pas forcément, même si une per­sonne dit adhérer au MMM (Moi-Même Mouvement), et d’autres ne se sentir pro­ches d’aucun mou­ve­ment poli­ti­que.

Or, parmi elles, il y a soit des per­son­nes ne par­ti­ci­pant à aucune orga­ni­sa­tion anar­chiste spé­ci­fique non plus, soit des per­son­nes pour qui au contraire, l’appar­te­nance à un groupe anar­chiste semble être suf­fi­sante. La diver­sité liber­taire, on la retrouve aussi dans les mani­fes­ta­tions aux­quel­les ils par­ti­ci­pent. En effet, ils vivent dans une opti­que d’enga­ge­ment cons­tant, comme ce mili­tant de la Fédération Anarchiste Francophone (FA) affir­mant par­ti­ci­per à toutes les mani­fes­ta­tions et à toutes les acti­vités orga­nisées par les anar­chis­tes. Mais ils sont aussi présents dans la rue lors des nom­breu­ses mani­fes­ta­tions, à côté de la gauche et l’extrême gauche.

Dans l’année où ce ques­tion­naire a cir­culé (mars 1995-mars 1996), ils ont par­ti­cipé aussi à des mani­fes­ta­tions éco­log­istes, contre les essais nuclé­aires, ou au col du Somport contre la cons­truc­tion du tunnel. Ils ont été présents ou orga­ni­sa­teurs de mani­fes­ta­tions anti­fas­cis­tes, pour l’avor­te­ment, contre l’exclu­sion, contre Pasqua (lorsqu’il était minis­tre de l’Intérieur), ou encore pour sou­te­nir les luttes au Chiapas, la liberté en Algérie, le droit au loge­ment, etc. Ils/elles se dép­lacent pour par­ti­ci­per à des mani­fes­ta­tions mais aussi aux col­lo­ques et aux nom­breu­ses confér­ences et débats (ou pro­jec­tions vidéos sui­vies de débat) orga­nisés par les col­lec­tifs liber­tai­res sur des thèmes aussi divers que l’espér­anto, la méde­cine alter­na­tive, la rév­olte psy­ché­dé­lique, la science et l’anar­chie.

À propos de ces débats, la liste est très longue. Ce qui représ­ente, en réalité, un nombre incal­cu­la­ble d’heures de dis­cus­sion. À Lyon, par exem­ple, la librai­rie la Gryffe et la Plume noire (la librai­rie gérée par des mem­bres de l’Union locale de la FA) orga­ni­sent plu­sieurs dizai­nes de débats par an. Mais, parmi les liber­tai­res ayant rép­ondu au ques­tion­naire, il y en a aussi une dizaine indi­quant n’avoir par­ti­cipé, ces der­nières années, à aucune mani­fes­ta­tion, ni à aucun débat. Parmi ceux-ci, il y a des per­son­nes ayant milité quel­que temps acti­ve­ment à la fin des années 60 et au début des années 70.

Aujourd’hui, ils conti­nuent de mon­trer un intérêt, un atta­che­ment pour les idées liber­tai­res mais il se concré­tise sur­tout à tra­vers la lec­ture de quel­ques livres, de jour­naux, et/ou par des rela­tions ami­ca­les plus ou moins sui­vies avec des mili­tants ou des per­son­nes conti­nuant à fréqu­enter le milieu. Enfin, mêlées aux autres anars il se peut que dans des moments excep­tion­nels, ils/elles par­ti­ci­pent à des mani­fes­ta­tions impor­tan­tes comme, par exem­ple, celles de déc­embre 95, contre la venue du Pape, etc.

Les rép­onses reçues à nos ques­tions semi-ouver­tes nous mon­trent un mou­ve­ment non dog­ma­ti­que. Pourtant, des posi­tions dog­ma­ti­ques ou sec­tai­res demeu­rent et peu­vent se lire entre les lignes de quel­ques-unes d’entre elles. Par exem­ple, à la ques­tion : Quel est le groupe, l’orga­ni­sa­tion liber­taire dont vous vous sentez le plus proche, une mili­tante répond : Mon orga­ni­sa­tion me suffit. Et c’est la même rép­onse qu’on obtient à la ques­tion concer­nant les grou­pes non liber­tai­res. S’il n’y a pas de pensée mono­li­thi­que, mais une pensée expri­mant un large plu­ra­lisme, il y a quand même quel­que chose qui semble être, pour une grande majo­rité de liber­tai­res, le fait mar­quant dans l’his­toire de ce mou­ve­ment.

En effet, 80 d’entre eux citent l’Espagne de 1936 et, sous-entendu, ou par­fois expli­ci­te­ment, les col­lec­ti­vi­sa­tions, et sur­tout l’his­toire de l’anar­cho-syn­di­ca­lisme dans ce pays. Mais il y a aussi d’autres types de rép­onse à cette ques­tion.

En effet, 20 per­son­nes citent la Commune de Paris, 16 Makhno et 15 Mai 68. Moins nom­breu­ses sont les rép­onses indi­quant les débuts de la révo­lution russe, les débuts du syn­di­ca­lisme en France, Kronstadt, la pro­pa­gande par le fait (Ravachol, Bonnot, Vaillant), Sacco et Vanzetti, Spartacus, la Ruche et un ensem­ble hétérogène qui va des mou­ve­ments Dada et surréal­iste à Zapata.

De l’expéri­ence de la mon­naie fran­che à Liguière en Bercy (en 1958) au Printemps de Prague, ou encore à 1789, etc. Mais il y a aussi 11 per­son­nes ne don­nant aucune rép­onse. Diversité, donc, mais aussi reconnais­sance du rôle impor­tant joué dans l’his­toire de l’anar­chisme par les mou­ve­ments anar­cho-syn­di­ca­lis­tes et la mythi­que révo­lution liber­taire de 1936 en Espagne.

Cette diver­sité d’opi­nions s’exprime davan­tage par rap­port à l’his­toire réc­ente du mou­ve­ment liber­taire.

Tout d’abord, il y a une majo­rité de non-rép­onses (27) qui indi­que qu’il est tou­jours néc­ess­aire d’avoir du recul pour pou­voir juger si un évé­nement récent est un fait mar­quant dans l’his­toire (ce qui relève sou­vent plutôt de notre ima­gi­naire que d’un cons­tat réel.) Néanmoins, 18 rép­onses indi­quent que cet évé­nement est Mai 68.

À noter, à ce propos, que pour cer­tains c’est déjà un fait his­to­ri­que, comme on l’a vu plus haut, tandis que pour d’autres c’est encore de l’his­toire réc­ente, et cela indép­end­amment de l’âge de ceux qui ont fourni cette rép­onse. Puis, parce que l’his­toire au présent, l’his­toire réc­ente est aussi une his­toire en deve­nir, il y a 16 per­son­nes signa­lant que, pour eux, c’est le Chiapas qui sym­bo­lise le fait mar­quant dans l’his­toire liber­taire contem­po­raine.

Mais, cet enthou­siasme pour ce qui se passe depuis 1994 dans cette région du Mexique, n’est-il pas dû à une cer­taine envie de retrou­ver ailleurs ce qui semble impos­si­ble de vivre ici ?

Pour d’autres époques réc­entes, nous aurions eu pro­ba­ble­ment des rép­onses indi­quant comme fait mar­quant, le renou­veau du Sandinisme au Nicaragua, ou l’appa­ri­tion de Solidarnosc en Pologne. Cela m’amène à penser que ce choix est plutôt lié à un rap­port de sym­pa­thie, de soli­da­rité imméd­iate, de sen­si­bi­lité vive qu’ont ces êtres sen­si­bles, qu’à une ana­lyse et obser­va­tion cri­ti­que qu’on ne peut faire qu’avec du recul. Ajoutons à cela que, pour 11 d’entre eux, il n’y a aucun évé­nement représ­en­tatif dans l’his­toire réc­ente du mou­ve­ment liber­taire.

Moins nom­breu­ses sont les rép­onses rete­nant que ces faits mar­quants sont le dével­op­pement des squats (7), la scis­sion de la CNTF (3), les manifs anti-CIP au prin­temps 1994, l’école Bonaventure (2), Action directe (2) et l’obten­tion du statut d’objec­teur de cons­cience. Enfin, il y a 37 rép­onses à clas­ser dans les divers, puis­que sont cités pêle-mêle Baader-Meinhof, Chomsky et les débats poli­ti­ques aux USA, la rév­olte des Indiens Papous de l’île de Bougainville, Marco Pannella et le Parti radi­cal ita­lien, la forte prés­ence des anars dans la manif du 25 novem­bre 1995 pour le droit des femmes et l’inves­tis­se­ment des anars dans le mou­ve­ment social de novem­bre-déc­embre 1995 et, enfin, citons encore cet autre fait mar­quant dans l’his­toire réc­ente du mou­ve­ment liber­taire selon une de nos rép­onses : les mères de la place de Mai en Argentine. Quand l’idéal type est « Personne »...

Mais alors, s’ils ne se met­tent pas d’accord sur un évé­nement mar­quant de l’his­toire réc­ente, com­ment pour­ront-ils s’accor­der sur la per­sonne incar­nant l’idéal type de l’anar­chiste ? Cette ques­tion, qui pour quel­ques-uns représ­entait une ques­tion piège, révèle en effet un malaise, quasi une rév­olte qui trans­pa­raît à tra­vers des rép­onses signa­lant que l’idéal type est une idée absurde, contra­dic­toire même avec l’idéal anar­chiste. J’espère, écrit une jeune mili­tante, que pour tous ceux qui ont rép­ondu au ques­tion­naire, cet idéal type n’existe pas.

Mais si vrai­ment il faut donner des noms, comme ont sou­li­gné cer­tain-e-s en pré­am­bule à leur rép­onse : en voici quel­ques-uns. Mais, avant tout, il faut sou­li­gner que sur les 140 rép­onses reçues, 37 affir­ment que l’idéal type anar­chiste est per­sonne, ou qu’il est contra­dic­toire avec l’idée d’anar­chie, tandis que 16 per­son­nes ne rép­ondent pas à la ques­tion.

Dans la liste de noms four­nis par les autres le plus cité, natu­rel­le­ment, est Bakounine (2) ! Non ! Ce n’est pas lui ! C’est Louis Lecoin qui arrive en tête, suivi par un moi iro­ni­que, ou contes­ta­taire. Puis, ce qui peut paraître un para­doxe, vu le petit nombre de femmes ayant rép­ondu au ques­tion­naire, c’est Louise Michel qui est choi­sie, par 6 hommes et 1 femme ! Relevons encore ce qui semble être une contra­dic­tion, un para­doxe dans le para­doxe.

En effet, c’est le sous-com­man­dant Marcos, révo­luti­onn­aire post-moderne qui uti­lise le fax, la cagoule, la pipe et la mitraillette, qui talonne la com­mu­narde du siècle der­nier. Dans le pelo­ton avec quatre pré­fér­ences chacun, on trouve Proudhon, Durruti, Makhno, Malatesta, Bakounine (le voilà !), mais aussi Brassens avec sa gui­tare et son gorille, May Picqueray et ses 80 ans d’anar­chie, puis encore Ferré et Marius Jacob avec trois pré­fér­ences, Socrate, Cohn-Bendit (3), Emma Goldman. Parmi les autres rép­onses, il y a aussi avec deux pré­fér­ences pour Florence Rey et Audry Maupin (mais par pro­vo­ca­tion, est-il écrit dans une des deux), ainsi que pour Guy Debord, Berneri et Reclus. Bref, on ne peut plus varié et moins dis­ci­pliné que les anar­chis­tes ! Bien entendu, il fau­drait citer toutes les rép­onses pour apprécier cette variété de noms qui vont encore de Freud à Puig Antich (4). Cependant, vu que bon nombre de rép­onses indi­quent plu­sieurs noms à la fois, les rép­onses à cette ques­tion, ainsi qu’à toutes les autres doi­vent être lues avec préc­aution.

En réalité, je pense que grâce à elles, on obtient plus un état d’esprit, une photo floue, une image en mou­ve­ment (un mou­ve­ment en images ?), que la photo de classe des anar­chis­tes de la fin des années 1990. Ceci dit, à partir de ces 140 liber­tai­res qui vont de ce jeune homme de 15 ans, de Metz, qui a connu les idées anar­chis­tes par la lec­ture chez ses parents, à Marie-Christine, retraitée de 79 ans et ani­ma­trice du CIRA à Lausanne, qui les a connues par des livres et des jour­naux qui lui ont été adressés par un ami anar, on peut néanmoins se faire une idée de ce qu’ils sont et de ce qu’ils représ­entent, sans pour autant uti­li­ser leurs rép­onses pour en tirer des conclu­sions défi­ni­tives. Je sou­hai­te­rais que ces données nous per­met­tent sur­tout d’envi­sa­ger de pour­sui­vre des recher­ches, ainsi que la réflexion sur qui sont les liber­tai­res aujourd’hui, que font-ils et quel est leur ima­gi­naire (5).

Néanmoins une des choses qu’on peut d’ores et déjà sou­li­gner, c’est que le rôle de la culture est extrê­mement impor­tant, voire que c’est l’élément essen­tiel par lequel ils devien­nent anar­chis­tes, mais aussi à tra­vers lequel ils expri­ment leurs idées. Que ce soit par des petits grou­pes, indi­vi­duel­le­ment ou grâce à leurs orga­ni­sa­tions, les liber­tai­res se ren­dent visi­bles dans le quo­ti­dien prin­ci­pa­le­ment par leur presse, l’édition, les débats, les inter­ven­tions dans des radios asso­cia­ti­ves, et les ren­contres et col­lo­ques dont ils sont à l’ini­tia­tive.

Ainsi à partir de notre enquête, on retient que 44 per­son­nes disent que la ren­contre avec les idées liber­tai­res s’est faite par les livres, la presse, les fan­zi­nes, les librai­ries. Pour 30, un pre­mier contact s’est établi lors de mani­fes­ta­tions, dans des squats, ou tout sim­ple­ment par le biais d’affi­ches, de tracts, etc. Comme on l’a déjà dit, une dizaine d’entre eux ont été influencés par le rock alter­na­tif, mais aussi par Ferré, Brassens, Renaud, etc. Il y en a, enfin, qui l’ont été par les amis au lycée et à la faculté. Cette influence dérive aussi par le capi­tal cultu­rel détenu par la famille, tandis que pour d’autres c’est jus­te­ment la réaction contre les idées de leur famille qui les a pous­ser vers l’anar­chisme, y com­pris dans le cas où, par exem­ple, les deux parents sont tous les deux pro­fes­seurs et com­mu­nis­tes. Pour cer­tains d’entre eux-elles, enfin, ce sont des his­toi­res par­ti­cu­lières, la réaction au ser­vice mili­taire, la psy­cha­na­lyse, le surréal­isme qui leur ont permis de déc­ouvrir les che­mins anar­chis­tes.

Ce qui semble néanmoins dét­er­minant dans cette ren­contre, c’est une dém­arche pro­gres­sive et per­son­nelle que l’on cons­tate chez les jeunes, mais qu’on retrouve, par exem­ple, aussi chez ce retraité de 61 ans qui est arrivé à l’anar­chisme depuis seu­le­ment quel­ques années. Le fait mar­quant dans son cas, a été : la bataille que j’ai menée, contre mon passé com­mu­niste. Pour me dire anar­chiste, il a fallu lutter contre moi-même pen­dant deux ans.

C’était comme si mon passé, mon édu­cation me rete­naient par la manche in extre­mis. Mais fina­le­ment, concluait-il, les argu­ments développés dans des ouvra­ges que j’ai lus ont été les plus forts.

Ce res­ser­re­ment pro­gres­sif, noté par ce psy­chia­tre de 59 ans, et cette cons­cience pro­gres­sive, indi­quée par cet ensei­gnant de 31 ans, sem­blent être plus dét­er­minants que des évé­nements précis pour de nom­breux liber­tai­res et leur appro­che au mou­ve­ment et/ou aux idées anar­chis­tes. Ces évé­nements mar­quants sont eux aussi d’ori­gi­nes diver­ses, cela va de Mai 68 (encore et tou­jours lui ! cité 11 fois) à l’anti­mi­li­ta­risme, d’un repor­tage vidéo sur les Sex Pistols vu à la télé, à l’affaire Sacco et Vanzetti pour une per­sonne n’étant pas encore née à l’époque des faits. D’autres liber­tai­res indi­quent, d’une manière géné­rale, que l’élément décl­encheur à été la cons­ta­ta­tion de l’injus­tice sociale, la par­ti­ci­pa­tion à des manifs anti­fas­cis­tes ou l’anti­clé­ri­cal­isme, mais aussi la réaction pro­vo­quée par l’arrivée de la gauche au pou­voir, Tchernobyl et Malville, le monde du tra­vail et ses luttes, et enfin pour cet employé publi­ci­taire de 40 ans : la séd­uction d’un cer­tain roman­tisme révo­luti­onn­aire. Ajoutons les rép­onses de ces deux liber­tai­res, sans pro­fes­sion, habi­tant les pentes de la Croix-Rousse à Lyon. Elle (25 ans) indi­que que l’évé­nement mar­quant, c’est la vie, mais aussi Pasqua, le mou­ve­ment étudiant de 1986, l’école, les crimes racis­tes et les bavu­res poli­cières, le loge­ment, la guerre du Golfe, etc., un sou­ve­nir... l’assas­si­nat de Pierre Goldman (6). Pour lui (26 ans), ce sont les luttes des squats, tous les romans des épopées makh­no­vis­tes, des anar­cho-syn­di­ca­lis­tes amé­ricains, ou autres cama­ra­des espa­gnols, le mou­ve­ment étudiant de 1986, Pasqua, la lutte des squat­ters à la Croix-Rousse.

Comme on l’a vu jusqu’à présent, c’est dans des termes différents, sur des sujets différents qu’ils trou­vent l’ins­pi­ra­tion, les référ­ences, ou des motifs concrets pour s’enga­ger dans les che­mins liber­tai­res.

Cet ensem­ble d’idées et de mani­fes­ta­tions nous don­nent ainsi une image poly­chrome des liber­tai­res, ces êtres bouillon­nants comme la vie elle-même, et de leurs acti­vités. Vouloir, à partir de ces éléments, dégager une seule ten­dance ou pri­vilégier celle-ci au dét­riment de celle-là, avoir un parti pris, nous condui­rait iné­vi­tab­lement sur une fausse route. Les liber­tai­res d’aujourd’hui ne représ­entent pas un parti poli­ti­que, mais bel et bien un ensem­ble, chao­ti­que peut-être, mais vivant, et sou­vent généreux.

En écrivant ces lignes, j’ai en tête cette petite cari­ca­ture publiée par le men­suel Alternative Libertaire (Belgique), mon­trant un insou­mis et son petit dra­peau noir, un être minus­cule défiant un mili­taire her­culéen et bardé à la Rambo. C’est un peu comme ce fameux Chinois qui, son sac à pro­vi­sion à la main, fai­sait face à un char de l’armée à l’époque de Tienamen. L’image des liber­tai­res est com­po­site, com­plexe (7) et ne peut être cernée faci­le­ment. Il faut aller la cher­cher là où elle se niche. Tâche dif­fi­cile, puisqu’il ne s’agit pas d’y aller comme va un eth­no­lo­gue dans le métro, où d’aller vivre pen­dant quel­que temps comme (8) les Indiens.

Pour en saisir toutes les nuan­ces, il faut être avec eux, parmi eux, les côtoyer dans leur quo­ti­dien, et sur­tout se déb­arr­asser des mythes et des lég­endes que beau­coup d’obser­va­teurs, sincères ou non, ont tri­coté sur ce peuple contes­ta­taire et rebelle. Mais, pour accom­plir cette tâche, pour les obser­ver, pour les com­pren­dre, il faut aussi ôter les lunet­tes bico­lo­res, un verre noir et l’autre rouge, celles du socio­lo­gue par­ti­daire. Une tache d’autant plus dif­fi­cile puisqu’il reste à faire ce tra­vail de dém­ys­ti­fi­cation néc­ess­aire face aux récits révo­luti­onn­aires des mili­tants, récits col­portés de géné­ration en géné­ration pour se donner du cou­rage quand la réalité n’est pas celle qu’on vou­drait qu’elle soit. Kultur über alles Mais en atten­dant d’appro­fon­dir les ques­tions concer­nant l’ima­gi­naire des liber­tai­res, voyons main­te­nant quels sont les moyens qui leur sem­blent les plus aptes au dével­op­pement de leurs mou­ve­ments. Pour 44 d’entre eux, le futur du mou­ve­ment est lié aux débats, à la presse, aux livres, à la vidéo, à l’infor­ma­ti­que, à Internet, à la culture.

Car il faut faire connaître davan­tage les idées anar­chis­tes à ceux qui n’en ont que cette image super­fi­cielle donnée par les grands médias lorsqu’ils affir­ment, par exem­ple, que l’anar­chie règne au Rwanda, ou en Albanie, Russie, Congo ou encore dans tel ou tel autre pays en ruine (9). Cette volonté de réfléchir et ce regard lucide sont bien présents dans cer­tai­nes rép­onses à notre ques­tion­naire. Par exem­ple, celle de cet étudiant de 41 ans qui pense que, pour dével­opper les idées liber­tai­res, il faut remet­tre en cause des dogmes fon­da­teurs, il faut trou­ver un équi­libre entre la pra­ti­que et la théorie, et la capa­cité à déb­attre et à inter­ro­ger toute la société. Pour 20 per­son­nes, il faut par­ti­ci­per aux mou­ve­ments sociaux et au syn­di­ca­lisme. 15 liber­tai­res ont rép­ondu qu’il faut dével­opper les micro-orga­ni­sa­tions autogérées et alter­na­ti­ves (l’exem­ple de l’école Bonaventure est cité à ce propos plu­sieurs fois). Mais, il faut aussi ren­for­cer les orga­ni­sa­tions spé­ci­fiques pour 8 mili­tants et, enfin, dével­opper le réseau, le rela­tion­nel, faire des fêtes. Enfin pour ce RMiste de 30 ans vivant dans une grande ville, tous les moyens sont bons, des plus ano­dins (style tracts) jusqu’aux luttes beau­coup plus radi­ca­les : agir/action directe.

Action directe pas forcément vio­lente comme il est signalé par d’autres, mais plutôt des coups méd­ia­tiques, la parole directe. Ce qui n’empêche pas ce jeune homme de 24 ans, actuel­le­ment CES dans une ville du centre de la France proche d’AC ! (Agir ensem­ble contre le chômage), de Greenpeace, et bien entendu de l’EZLN (l’armée zapa­tiste de libé­ration natio­nale), d’ajou­ter qu’il faut dis­cu­ter avec son entou­rage et en der­nier recours, même si ça ne mène à rien, mener des actions ter­ro­ris­tes ciblées contre tout ce qui nous empêche d’exis­ter.

Comme l’écrivait Michel de Certeau : Malgré tout, cette vio­lence reste dans l’expres­si­vité. Elle demeure un dis­cours de pro­tes­ta­tion. Plus pro­fondément, ajou­tait-il, l’acte vio­lent signe l’irrup­tion d’un groupe. Il scelle le vou­loir exis­ter d’une mino­rité qui cher­che à se cons­ti­tuer dans un uni­vers où elle est de trop parce qu’elle ne s’est pas encore imposée (10). En effet, je pense qu’il ne s’agit pas de jus­ti­fier ces paro­les ou ces actes vio­lents, mais de les com­pren­dre (11). Cette fas­ci­na­tion pour la vio­lence existe dans le milieu liber­taire et on la retrouve dans quel­ques-unes des rép­onses recueillies. Mais tout compte fait, l’anar­chiste vio­lent reste sur­tout un mythe que beau­coup d’écrivains, de cher­cheurs et de jour­na­lis­tes repren­nent (12) d’une manière réc­urr­ente.

À l’évid­ence, et cela depuis long­temps, ces actions vio­len­tes ont été peu nom­breu­ses et par­ti­cu­liè­rement insi­gni­fian­tes par rap­port au tra­vail quo­ti­dien de plu­sieurs dizai­nes, voire des cen­tai­nes de liber­tai­res qui, dans leurs ate­liers d’utopie, écrivent, lisent, pro­dui­sent des livres, des bro­chu­res, et s’échinent à trou­ver les moyens pour dif­fu­ser cette abon­dante pro­duc­tion. D’autre part, la non-vio­lence active est aussi un des traits dét­er­minants de ce mou­ve­ment. Parmi les 140 rép­onses que j’ai reçues, il y a aussi des per­son­nes mar­quées par la revue Anarchisme et Non-Violence et qui par­ti­ci­pent encore à des mou­ve­ments comme L’Union paci­fiste ou La Libre pensée.

Des agents de la trans­for­ma­tion sociale Nous pou­vons main­te­nant tirer une pre­mière conclu­sion : On peut dire que les liber­tai­res d’aujourd’hui sont des agents de la trans­for­ma­tion sociale plutôt que des révo­luti­onn­aires à la mitraillette et au poing levé. C’est ce qu’on peut remar­quer aussi en lisant leur presse (13).

Réinventons l’utopie titre le men­suel Alternative liber­taire (France) dans un numéro de 1995. Courant alter­na­tif, le men­suel de l’OCL, de février 1996, titre par ailleurs Que mille uto­pies renais­sent ! Dans un autre texte publié à la fois par le Monde liber­taire et Alternative Libertaire (Belgique), signé par Jacynte Rausa, Michel Negrell et Roger Noël (Babar), on lit L’anar­chie ne vien­dra pas. Elle est déjà ici. Ici ou là, dans la volonté de cer­tains indi­vi­dus, dans le rela­tif de cer­tai­nes situa­tions, de cer­tains moments. L’anar­chie n’a ni terre ni jour d’élection, elle est tou­jours et par­tout prés­ente [...] L’anar­chie n’est l’apa­nage de per­sonne, d’aucune orga­ni­sa­tion. Inutile d’atten­dre l’inat­tendu.

Les explo­sions liber­tai­res sur­pren­dront tou­jours.

L’anar­chie en défi­ni­tive ne serait-elle qu’une utopie mobi­li­sa­trice comme disent les auteurs de cet arti­cle (14) ?

En réalité, les anar­chis­tes, depuis tou­jours, ont ouvert des voies nom­breu­ses pour aider à pour­sui­vre au quo­ti­dien l’idée de cette trans­for­ma­tion sociale. Ne man­quent pour­tant pas dans la presse liber­taire des arti­cles indi­quant comme seule solu­tion aux pro­blèmes sociaux... la révo­lution mon­diale (15).

Pourtant, mythes, rêves, espoir, luci­dité, volonté, désir, souf­france, impuis­sance, c’est dans un véri­table tour­ment que vit l’anar­chiste de cette fin de siècle, et pro­ba­ble­ment encore pour long­temps (16).

C’est dans une situa­tion tou­jours préc­aire, roman­ti­que, idéale, qu’on le retrou­vera mais aussi là où le quo­ti­dien l’emporte tou­jours sur l’excep­tion­nel. Ainsi, se perpét­uera ce désir de vivre libre, de conti­nuer à ima­gi­ner un nou­veau monde.

En fait, on peut dire, en para­phra­sant Gaston Bachelard, que cette rêverie, et en par­ti­cu­lier celle de l’anar­chiste, permet de faire naître un état d’âme chez toutes celles et tous ceux qui n’accep­tent pas la logi­que domi­nante, que ce soit du point de vue social, poli­ti­que, éco­no­mique, scien­ti­fi­que ou phi­lo­so­phi­que. La poé­tique liber­taire porte tou­jours ce tém­oig­nage d’une âme qui déc­ouvre le monde, un monde où elle vou­drait vivre, où elle vivrait dans la dignité (17).

D’autre part, je me suis rendu compte que, l’obser­va­tion de l’his­toire des hommes et des femmes par leur côté excep­tion­nel ne montre pas ce qu’il y a en eux de plus puis­sant. En effet, je pense que c’est dans l’acti­vité quo­ti­dienne que réside cette force. Et dans le cas des liber­tai­res dans, cette ten­sion per­ma­nente, cette énergie, cette sen­si­bi­lité à fleur de peau qui appor­tent chaque jour, ici et là, de nou­vel­les idées, et qui per­met­tent le dével­op­pement de nou­vel­les acti­vités.

Cette ten­sion permet, en outre, aux rêves de vivre, à l’ima­gi­na­tion cré­at­rice d’ouvrir de nou­veaux che­mins où l’espace et le temps sont inces­sam­ment modi­fiés ainsi que les règles du jeu rég­issant nos com­por­te­ments. Beaucoup d’his­to­riens, dans les années 50 et 60 avaient enterré l’anar­chisme et les anar­chis­tes, et ils n’avaient vu dans les évé­nements de Mai 68 et leurs pro­lon­ge­ments que des frém­is­sements, voire un renou­veau, mais limité à une couche sociale com­posée de jeunes contes­ta­tai­res et des­tiné à s’épuiser, à dis­pa­raître.

L’exis­tence de nom­breuse per­son­nes qui affi­chent encore, dans leur quo­ti­dien, cette sen­si­bi­lité et cet espoir, voire la volonté de trans­for­mer les liens sociaux, par des dém­arches et des pra­ti­ques antiau­to­ri­tai­res et anti­hiér­arc­hiques, dém­ontre la vita­lité de cette culture. Il faut néanmoins reconnaître que le nombre d’adhérents aux orga­ni­sa­tions spé­ci­fiques n’est pas à la hau­teur de ce désir de faire la révo­lution ici et main­te­nant que quel­ques mili­tants main­tien­nent à l’ordre du jour de la pro­chaine réunion.

Il faut reconnaître aussi que leur influence, ainsi que celles des autres mili­tants liber­tai­res non orga­nisés, dans les mou­ve­ments sociaux n’est pas vrai­ment dét­er­min­ante.

Ce qui ne veut pas dire que, dans telle ou telle situa­tion, les anar­chis­tes et les liber­tai­res ne soient ou ne seront pas les pro­ta­go­nis­tes parmi les plus actifs dans l’orga­ni­sa­tion d’ini­tia­ti­ves contes­ta­tai­res et/ou cré­at­rices. Remarquons encore que les liber­tai­res d’aujourd’hui, aussi bien que les anar­chis­tes d’hier, ont su créer des espa­ces de liberté, une culture qui est non seu­le­ment une représ­en­tation, une idéa­li­sation de la réalité, de la rév­olte, mais aussi, comme dirait Alain Pessin, une incor­po­ra­tion des pra­ti­ques.

Les liber­tai­res ont su dével­opper un ima­gi­naire où on retrouve tou­jours des traces sub­ver­si­ves et cré­at­rices. Y com­pris par rap­port à la mort. Est-ce un hasard si, dans une der­nière ques­tion présentée dans notre ques­tion­naire concer­nant le dével­op­pement futur du mou­ve­ment liber­taire, une per­sonne écrit : le sui­cide (voire le meur­tre) ?

Il s’agit dans ce cas du meur­tre de soi-même, puis­que dans l’ima­gi­naire liber­taire il n’y a plus ni dieu, ni maître, ni même un Père fon­da­teur ou une Mère pro­tec­trice. En effet, com­ment ne pas penser à ces jeunes amis lyon­nais (Carlos, Jean-Marie, Michel, pour ne citer que ceux avec qui on a par­ti­cipé à des acti­vités) ou bruxel­lois (Thierry, Daniel...) qui ont fait ce choix radi­cal (18) ces der­nières quinze années, mais aussi à Marius Jacob (dont on vient de réé­diter l’his­toire de sa vie), à ce bio­gra­phe de la presse anar­chiste ita­lienne (Leonardo Bettini) et enfin à l’auteur de l’Increvable anar­chisme (19) qui lançait la revue Interrogations dans les années 70 ? Résonne encore leur der­nier cri de défi au monde tel qu’il est, ce monde où la condi­tion humaine est tou­jours aussi pro­blé­ma­tique.

L’hymne à la vie Pourtant les liber­tai­res res­tent des épi­curiens, qui man­gent, qui boi­vent, qui font l’amour et jouis­sent de tout ce que peut leur offrir la vie. Sans atten­dre le Grand soir ou les matins qui chan­tent pour s’épanouir. Dans un arti­cle paru le 13 avril 1905 dans l’Anarchie, Libertad écrivait : Je ne veux pas tro­quer une part de main­te­nant pour une part fic­tive de demain, je ne veux céder rien du présent pour le vent de l’avenir (20). Plus loin dans ce même arti­cle inti­tulé Aux résignés, il ajoute : Je veux être utile, je veux que nous soyons utiles.

Je veux être utile à mon voisin et je veux que mon voisin me soit utile. Je désire que nous œuvrions beau­coup car je suis insa­tia­ble de jouis­sance. Et c’est parce que je veux jouir que je ne suis pas résigné (21).

Les anar­chis­tes ita­liens chan­tent encore cette chan­son de Pietro Gori (22) inti­tulée Amore ribelle où il est dit entre autres : All’amor tuo, fan­ciulla / Altro amor io pre­fe­ria : / É une idea l’amante mia / A cui detti brac­cio e cor (À ton amour, ô jeune fille, j’en pré­fé­rerais un autre, l’amour de l’idée, mon amante, et c’est à elle que j’ai donné mes bras et mon cœur). Le poète s’iden­ti­fie, dans la suite de la chan­son à ce tra­vailleur qui hait et défie les puis­sants de la terre, qui lève des dra­peaux ensan­glantés sur les bar­ri­ca­des pour la vraie liberté. Ce tra­vailleur de la fin du siècle der­nier, appa­rem­ment, avait beau­coup trop à faire pour se conten­ter de l’amour qu’il pou­vait rece­voir et donner à cette jeune fille.

Alors, plein d’espoir dans une révo­lution pos­si­ble, proche et iné­vi­table, il lui adres­sait dans un der­nier cou­plet de son poème ces paro­les : Se tu vuoi fan­ciulla cara / Noi insieme com­bat­te­remo / E nel di che vin­ce­remo, / Braccio e cour ti donero’ (Si tu veux, cher enfant, nous lut­te­rons ensem­ble, et le jour où nous gagne­rons, je te don­ne­rai mes bras et mon cœur).

Cette chan­son que nous avons sou­vent chantée en groupe, dont le refrain me revient par­fois, comme une ritour­nelle, et qui n’est plus que la rémin­isc­ence (23) d’une pér­iode his­to­ri­que révolue B des rémin­isc­ences du même ordre que les quel­ques vers de l’Ave Maria, ou du Pater noster que ma mère m’a fait répéter pen­dant de lon­gues années.

L’anar­chie était présentée encore au début des années vingt comme une magni­fi­que cité d’har­mo­nie de paix et de jus­tice. Sébastien Faure, un grand ora­teur anar­chiste au terme d’un cycle de confér­ences, et notam­ment dans la der­nière inti­tulée La véri­table Rédemption, après avoir tracé les gran­des lignes de sa concep­tion d’une société d’après la révo­lution pour mon­trer qu’il n’y a là, ni utopie, ni chimère, ni folie, incite enfin à vivre par la pensée cet idéal magni­fi­que (24).

Comprenez-vous main­te­nant Camarades, ajoute-t-il, qu’on puisse vivre sa vie à un tel idéal. Puis, plus loin, en s’adres­sant aux jeunes gens, il leur demande de réfléchir, d’étudier, de lire de tra­vailler, de dis­cu­ter avec vous-mêmes et avec les autres, et quand vous aurez acquis cette convic­tion préci­euse qui ins­pi­rera toute votre vie, qui dic­tera toute votre conduite, qui gui­dera vos sen­ti­ments, alors je vous adjure de consa­crer à cette convic­tion votre jeu­nesse, votre intel­li­gence et vos forces. La lutte sera rude et vous aurez par­fois à subir de ter­ri­bles épr­euves : persé­cutions, misères, calom­nies, rien ne vous sera épargné.

Vous aurez d’autres sacri­fi­ces plus pénibles à faire. Il vous faudra par­fois briser avec des affec­tions qui vous sont chères, rompre des ami­tiés préci­euses, peut-être même briser des liens plus doux encore.

N’hésitez pas, jeunes gens. Il n’y a pas d’amante com­pa­ra­ble à celle qui s’offre à vous ce soir. Les autres ne possèdent que vos sens. Celle-ci vous possé­dera tout entier. Elle vous enve­lop­pera des pieds à la tête et pren­dra pos­ses­sion de vous com­plè­tement. Les autres aman­tes peu­vent vous trahir. Celle-ci ne vous tra­hira jamais. Les autres aman­tes per­dront peu à peu la jeu­nesse, la fraîcheur, la grâce, le charme, la beauté. Celle-ci, au contraire, res­tera étern­el­lement jeune et belle. Ô jeunes gens, aimez-là ! (25).

On le voit, il s’agit là d’un amour mys­ti­que que ce commis-voya­geur de l’anar­chie ainsi appelé par l’écrivain Zévaés, cet apôtre de l’anar­chie pou­vait prés­enter devant un audi­teur qui se lais­sait entraîner par ce char­meur comme le dit Gérard de Lacaze-Duthiers dans la pré­face écrite pour ce recueil de confér­ences. Mais peut-on encore ima­gi­ner un ora­teur anar­chiste prés­enter des tels propos aujourd’hui ? Reste-t-il des liber­tai­res qui lient leur vie à cet avenir espéré ? Certes, parmi les mil­liers de per­son­nes qui se sen­tent anar­chis­tes, il est fort pos­si­ble qu’on trouve quelqu’un dont tous les espoirs repo­sent sur un à-venir. Mais en réalité depuis la révo­lution des mœurs com­mencée dans les années 60, dont l’un des objec­tifs était la libé­ration sexuelle, une pra­ti­que nou­velle dans les rela­tions entre hommes et femmes, les anar­chis­tes comme tous les autres ont essayé de les vivre au quo­ti­dien.

Ce sont, eux-elles les tout pre­miers-pre­mières à créer de nou­veaux modes de vie, per­met­tant, ainsi, par rico­chets, à la société tout entière, de se dégager au fur et à mesure de ces struc­tu­res rigi­des qui se sont cris­tal­lisées autour des règles et des lois tout au long de l’his­toire, qui dét­er­minent nos com­por­te­ments, et dont les gens ne sup­por­tent plus ou pas tou­jours le poids. Prenons l’exem­ple de l’union libre.

Aujourd’hui, c’est un mode de vie reconnu et accepté par l’ensem­ble de la société.

Or, à l’ori­gine de cette dém­arche, il y a eu ces pion­niers du mou­ve­ment ouvrier, socia­lis­tes, mais plus sou­vent anar­chis­tes, qui ont dénoncé l’hypo­cri­sie du mariage bour­geois et tenté l’utopie de l’amour libre (26). Mais la ques­tion que je me pose aujourd’hui est la sui­vante : l’anar­chisme, dans le monde contem­po­rain, peut-il encore être ce mou­ve­ment qui refuse l’idée que le monde a été tou­jours le monde et on ne peut pas le chan­ger... tout en favo­ri­sant l’éclosion d’expéri­ences posi­ti­ves (27).

L’anti­mi­li­ta­risme, le paci­fisme, l’auto­ges­tion et la cri­ti­que de l’auto­rité (28), ces idées et ces pra­ti­ques ancien­nes, mais aussi l’éco­logie sociale de ces der­nières années, ou encore les idées et pra­ti­ques des grou­pes antispéc­istes plus réc­emment, devien­nent, avec le temps, des référ­ences cultu­rel­les à défaut de deve­nir des mou­ve­ments poli­ti­ques puis­sants (29).

Mais quels sont les enjeux pour les sociétés du XXIe siècle ? Est-ce la poli­ti­que ou est-ce la culture ? Est-ce la représ­en­tation vir­tuelle du monde ou l’action dans le monde ? Est-ce réd­uire l’ima­gi­naire de l’être humain à une simple équation mathé­ma­tique ou l’aider à se servir de son esprit libre ?

Ces enjeux seraient-ils liés aux son­da­ges, au déco­mpte du nombre des liber­tai­res et à leurs ana­ly­ses socio­lo­gi­ques, ou à une ana­lyse tou­jours cri­ti­que qu’il faut entre­te­nir sur tout cons­tat qu’on peut faire en tant que mili­tant ou cher­cheur ?

Pour ma part, je vais conti­nuer à navi­guer entre ces deux eaux. Tantôt socio­lo­gue, tantôt homme de pas­sion, je por­te­rai de l’eau (ou du vin selon le cas) aux uns et aux autres pour qu’ils reconnais­sent la néc­essité, tou­jours et par­tout, de la réflexion et de l’action, qui me sem­blent être la base d’une culture et d’une socio­lo­gie liber­taire.

Mimmo Pucciarelli

Notes

(1) C’est en quel­que sorte le même cons­tat qui est fait à l’ana­lyse du son­dage des lec­teurs du men­suel Alternative liber­taire (Belgique). Leurs cou­leurs sont le noir, le rouge et le vert, à l’image de la dém­arche que nous dével­oppons depuis 15 ans, affirme AL qui ajoute, Il semble que nous ayons (modes­te­ment) réussi à créer un car­re­four entre ces trois cou­leurs : le noir du cou­rant his­to­ri­que liber­taire, le rouge de la gauche socia­liste anti-tota­li­taire et le vert des éco­log­istes sociaux (AL143 de sep­tem­bre 1992.

(2) A. Pessin (op. cit.) indi­que que s’il fal­lait désigner une figure de père mythi­que, ce serait celle de Bakounine. Or il semble que les liber­tai­res de cette fin de XXe siècle n’aient plus de père... aussi mythi­que qu’il puisse exis­ter dans l’his­toire du mou­ve­ment anar­chiste.

(3) Oui, Dany le vert-kaki selon la défi­nition du cama­rade Robert Hue qui tenait compte des posi­tions que la tête de liste des Verts aux europé­ennes a exprimé en avril 1999 vis-à-vis de la Guerre du Kosovo. Mais notre enquête se dér­oulait en 1995-6, et Dany n’affi­chait pas (encore) ses idées libé­rales-liber­tai­res aussi expli­ci­te­ment qu’il le fait aujourd’hui.

(4) Militant anti­fas­ciste gar­rotté par le régime fran­quiste au début des années 70.

(5) À ce sujet l’Atelier de Création Libertaire devrait publier très pro­chai­ne­ment mon livre L’ima­gi­naire des liber­tai­res aujourd’hui.

(6) Militant des années 70, proche des ten­dan­ces gué­var­istes. Accusé d’assas­si­nat lors d’un vol dans une phar­ma­cie, il fut acquitté à l’issue de son procès. Il fut tué par la police en octo­bre 1979, ce qui donna lieu à de nom­breu­ses mani­fes­ta­tions de l’extrême gauche dans toutes les gran­des villes de France.

(7) En fait, je pense qu’à partir de la contes­ta­tion des années 60 et 70, l’anar­chisme, comme tou­jours dans son his­toire, a trouvé de nou­veaux inter­prètes, de nou­veaux acteurs, jeunes et moins jeunes, et qui ont été capa­bles d’ouvrir de nou­veaux sen­tiers. En réalité, je pense qu’il existe des ima­gi­nai­res sociaux et des indi­vi­dus concrets qui mobi­li­sent leurs énergies phy­si­ques et men­ta­les pour créer des outils, et se libérer de leur état de dép­end­ance vis-à-vis de la société. Une vision qui s’appa­rente à celle déc­rite par Hakim Bey, celle d’un anar­chisme onto­lo­gi­que, déc­rivant une pensée liber­taire qui se com­plexi­fie. En effet, il ne s’agit plus de définir les bons et les méchants, de détr­uire un vieux monde pour en cons­truire un nou­veau, mais de cher­cher dans la conti­nuité de l’être cette trans­for­ma­tion pos­si­ble qui semble par­fois impos­si­ble, afin qu’elle puisse se conju­guer avec le présent (voir H. Bey, op. cit., et sur un regis­tre différent mais qui me semble aller dans le même sens voir l’arti­cle de Xavier Beckaert paru dans l’AL 217 de mai 99, L’anar­chisme est-il une idéo­logie ou une mét­ho­do­logie ?).

(8) Comme le signale Jean Pouillon, vivre « comme » eux me semble illu­soire et illo­gi­que. L’adverbe « comme », ajoute-t-il, qui paraît rap­pro­cher, indi­que néanmoins une cer­taine dis­tance : faire comme si. Voir son livre le Cru et le su, coll. La librai­rie du XXe siècle, Seuil, Paris, 1993, p.154.

(9) Mais il ne faut pas tou­jours se considérer comme vic­ti­mes de la presse. Par exem­ple, le mer­credi 18 déc­embre 1996 entre 19h et 20h, il y a eu sur la chaîne Arte un repor­tage sur l’école liber­taire Bonaventure de l’île d’Oléron. Il m’a semblé assez objec­tif et, pour une fois, les jour­na­lis­tes par­laient de cette expéri­ence avec un cer­tain res­pect. Puis, tout à coup, à la ques­tion de savoir si on éduquait ces enfants pour deve­nir des anar­chis­tes, un ani­ma­teur ou un parent a rép­ondu que non, et d’ailleurs cette école ne crée pas des ter­ro­ris­tes, du moins, je le pense, a-t-il conclu can­di­de­ment.

(10) Voir son livre la Culture au plu­riel (1993), édition Essai Point, et par­ti­cu­liè­rement le cha­pi­tre inti­tulé : Le lan­gage et la vio­lence, pp 73-82.

(11) Mais, on peut aussi s’inter­ro­ger avec Boris Cyrulnik qui dans Les Nourritures affec­ti­ves, inti­tule un de ses cha­pi­tres La vio­lence qui détruit ne serait-elle pas cré­at­rice ?. Peut-être la rép­onse est-elle dans un slogan peint sur les murs des pentes de la Croix-Rousse qui dit : Détruisons cons­truc­ti­ve­ment.

(12) Par exem­ple, dans le livre Galaxie du ter­ro­risme, et en par­ti­cu­lier le cha­pi­tre Les enfants de Bakounine, terme repris par une jour­na­liste du Nouvel obser­va­teur à propos de Florence Rey et Audry Maupin. Mais des mili­tants anar­chis­tes comme Barrué entre­tien­nent aussi cette confu­sion et lient anar­chisme et ter­ro­risme. En effet, dans son ouvrage L’Anarchisme aujourd’hui, dans la post­face à l’édition de 1976, il affirme, p.105 que les anar­chis­tes ne répudient pas a priori le ter­ro­risme : il est un moyen d’action parmi bien d’autres, même s’il ajoute par la suite qu’il ne doit pas être uti­lisé sans dis­cer­ne­ment, il ne doit pas frap­per des inno­cents, il ne doit pas deve­nir un jeu sinis­tre et verser dans l’assas­si­nat pur et simple. En effet, il fau­drait faire la dis­tinc­tion entre le ter­ro­risme et les diver­ses formes de lutte armée, ainsi que les diver­ses formes de vio­lence dont se ser­vent cer­tains grou­pes poli­ti­ques. Une dis­tinc­tion qu’a essayé de faire Alain Joxe dans le numéro d’avril 1996 du Monde diplo­ma­ti­que. Voir aussi, à ce sujet, les Œillets rouges nE2. À lire sur­tout la Rêverie anar­chiste 1848-1918 d’Alain Pessin consa­crée à l’étude de l’ima­gi­naire mis en scène par des anar­chis­tes de la fin du siècle der­nier, et notam­ment à l’époque de la pro­pa­gande par le fait.

(13) Continuons à tra­vailler pour la trans­for­ma­tion sociale. C’est avec cette inci­ta­tion que le nou­veau secrét­aire de la CNT espa­gnole saluait les mili­tants à la fin du congrès de cette orga­ni­sa­tion en déc­embre 1995 (voir Solidaridad obrera de février 1996.) Mais c’est aussi une expres­sion qu’on retrouve sou­vent dans la presse liber­taire et anar­chiste, tout du moins dans celle que je connais et que je lis régul­ièrement (franç­aise, ita­lienne, espa­gnole, et anglaise en moin­dre mesure).

(14) Le Monde liber­taire, n°1027 de jan­vier 1996, et Alternative Libertaire (Belgique) de février 1996. À ce sujet voir aussi l’arti­cle de Ronald Creagh : Les mou­ve­ments liber­tai­res, uto­pies créa­tives, in L’Anarchisme, images et réalité.

(15) La révo­lution socia­liste liber­taire est la seule issue pour que l’éco­nomie satis­fasse les besoins sociaux d’indi­vi­dus pou­vant libre­ment les dét­er­miner et les gérer eux-mêmes, c’est ainsi que se ter­mine, par exem­ple un arti­cle de la com­mis­sion de l’Union rég­io­nale Rhône-Alpes de la FA paru dans Le Monde liber­taire du 29 février 1996.

(16) Ce prin­temps 1999, et face à la Guerre du Kosovo, beau­coup d’entre nous (les liber­tai­res à Lyon) ne savaient pas vrai­ment com­ment réagir. Ainsi si lors de la Guerre du Golfe nous fûmes parmi les plus actifs dans cette ville à la dén­oncer, cette fois-ci, nous n’avons (col­lec­ti­ve­ment) joué aucun rôle ou pres­que (j’écris ces lignes le 19 mai 1999. Pourtant nous en avons dis­cuté, mais avec des sen­ti­ments contrastés...

(17) Voir Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie, PUF, Paris, édition de 1978, p. 14.

(18) Georges Palante (op. cit.), p.129 écrit Pour l’indi­vi­dua­liste, le pro­blème qui se pose est celui-ci : Comment faire pour vivre dans une société regardée comme un mal néc­ess­aire ? La solu­tion radi­cale que com­porte le pes­si­misme social serait, ce semble, le sui­cide ou la retraite dans les bois. Ce qui nous amène à nous poser la ques­tion du pes­si­misme social indi­vi­dua­liste... celui-ci couve dans chaque anar­chiste ?

(19) Louis Mercier-Vega, l’Increvable anar­chisme 10/18, Paris, 1970.

(20) Voir Libertad, le Culte de la cha­ro­gne, édition Galilée, Paris, 1976, p.63.

(21) Ibidem, p.64.

(22) Avocat et mili­tant anar­chiste ita­lien appelé Le Chevalier de l’anar­chie. Voir le livre publié par les éditions BSF de Pisa, en 1995. J’ai gardé sur moi pen­dant des années une image de Pietro Gori où d’un côté il y a son por­trait et de l’autre l’hymne au 1er mai.

(23) Alain Thévenet, s’est sou­venu en lisant ce pas­sage des quel­ques lignes sui­van­tes qu’Ernest Cœurde­roy écrivait au milieu du XIXe siècle : Dans ce monde d’ini­quité, je ne puis rien aimer comme je m’en sens la force ; je suis contraint à haïr, hélas ! Et ma haine, c’est de l’amour encore ; l’amour de l’homme juste qui désespère, l’amour de l’homme libre forcé de vivre au milieu d’escla­ves ; un amour non satis­fait, immense, indé­fini, généreux et général. C Amour qui brûle, amour qui tue ! Je suis l’amant de l’Avenir qui maudit le présent. Cœurde­roy Ernest, Hurrah ! ! ! ou la révo­lution par les cosa­ques, col­lec­tion Table rase, Plasma, Paris, 1977.

(24) Voir les Propos sub­ver­sifs de Sébastien Faure, éd. des Amis de Sébastien Faure, Le Pré-Saint-Gervais, p.357.

(25) Ibidem, p.358. (26) Tandis que la grande masse des ouvriers, quant à eux, qui appe­laient volon­tiers leur femme « ma bour­geoise », rêvaient sur­tout d’une épouse libérée de l’usine et vouée aux soins du foyer. C’est, ce qu’écrit le Nouvel Obs dans un dos­sier sur l’union libre de février 1996.

(27) Voir à ce sujet Peter Heinz, Anarchisme posi­tif, anar­chisme négatif, ACL, 1997.

(28) Dans la Sagesse et le Désordre, France 1980 (biblio­thèque des Sciences humai­nes, NRF, Paris, 1980), Henri Mendras fait le point sur la France des années 80 et affirme entre autres : Plus per­sonne ne veut être auto­ri­taire, tout le monde se veut démoc­ra­tique, et cepen­dant les rela­tions concrètes avec les subor­donnés n’ont pas tel­le­ment changé... Certes, le cons­tat de Mendras et celui qu’on pour­rait faire encore à la fin de ce XXe siècle, c’est que la domi­na­tion de cer­tai­nes cou­ches de la popu­la­tion sur d’autres, ainsi que de cer­tains indi­vi­dus sur d’autres indi­vi­dus reste à l’ordre du jour. Mais que d’avancées ! On a pu assis­ter à des trans­for­ma­tions dans les règles et dans les liens sociaux depuis les années 50 à aujourd’hui, que ce soit à l’école, sur les lieux de tra­vail, ou dans les famil­les. Peut-être que ces anti-auto­ri­tai­res que sont les liber­tai­res ont joué un rôle dans l’ima­gi­naire social qui est tou­jours mobile.

(29) On peut ajou­ter encore d’autres formes de rés­ist­ance et de prés­ence posi­tive des idées liber­tai­res dans la société contem­po­raine. Hakim Bey (op. cit., pp.44 et sui­van­tes) indi­que quant à lui le refus de l’école et de l’appren­tis­sage domes­ti­que ; les net­wor­king qui ont une pra­ti­que poli­ti­que alter­na­tive, ACT-up, Earth First et diver­ses asso­cia­tions qui ont un fonc­tion­ne­ment non hiér­arc­hique et qui ont obtenu une cer­taine popu­la­rité même en dehors du mou­ve­ment anar­chiste parce qu’elles fonc­tion­nent ; la par­ti­ci­pa­tion à des acti­vités pro­duc­ti­ves déclarées ou non déclarées, la vie de famille qui prend des formes autres que mono­pa­ren­tale, le mariage de groupe, les grou­pes d’affi­nité éro­tique ; et pour finir ajoute H. Bey, en citant A. K. Coomaraswamy, que même dans l’art il est pos­si­ble d’entre­voir cette trans­for­ma­tion puis­que l’artiste n’est plus un type de per­sonne spéc­iale, mais chaque per­sonne est un type spécial d’artiste.

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Article publié sur le site Mondialisme.org le 13 juillet 2004

 10/12/2010

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